Les portes du Tibet

Dans cet article, des montées, du froid, de la fatigue et des difficultés… mais aussi des paysages superbes et de belles rencontres, à travers une zone qui appartenait autrefois au Tibet et où cette culture a été conservée.

Shangrila, suite et fin

Nous vous avons donc laissé au dernier message à Shangrila. Deux jours bénéfiques pour reposer nos muscles après une première semaine de montagnes. Ce repos nous a aussi permis de prévoir notre route à venir – et se rendre compte que la route qu’on voulait prendre initialement… passe par le Tibet, donc interdite pour nous (et pas l’esprit à frauder les contrôles de police).
On est prêts, sauf que le jour du départ, au réveil… il neige ! Réunion de crise ! Dans la matinée, d’autres infos nous arrivent sur le mauvais état de la route choisie (grâce au contact d’une française tenant une guesthouse dans le coin : merci Estelle Achard !). Bref, on décide finalement de continuer vers le nord, la nouvelle route étant moins ardue et moins haute. On profite de ce contretemps pour déjeuner dans notre cantine favorite avec Marie et David, deux autres cyclos arrivés la veille à Shangrila ; on se suit mutuellement sur les blogs, c’est la première fois qu’on se rencontre en vrai, on est trop contents. Les pauvres ont quelques soucis de genoux qui les ont obligé à troquer leurs vélos contre de bonnes paires de chaussures pendant quelques semaines.

En route !

En début d’après midi, on arrive à se remettre en selle. Il fait froid dans cette grande plaine constamment arrosée par le vent, et il fait gris ! Après quelques kilomètres sur une route assez passante, on monte dans une forêt de sapins. La circulation se calme, puisqu’une toute nouvelle route plus directe – qu’on n’a sur aucune carte – passe dans la vallée. On retrouve le plaisir de pédaler avec ce cadre superbe et cette tranquillité.
Après 45 kms dans l’après-midi, on s’arrête au village de Nixi pour trouver refuge pour la nuit. Des jeunes nous indiquent un petit jardin avec un Chörten au bout du village. Ça ira bien ! On va boire un thé pour se réchauffer, puis manger au restaurant juste à côté. Quand les propriétaires comprennent où on va dormir, ils nous proposent de poser les matelas plutôt dans l’arrière-boutique. Top ! On peut passer la soirée au coin du poêle et dormir à l’intérieur.

Au réveil, ce dimanche 5 avril, il fait 3°. On se couvre autant qu’on peut et on profite d’une descente de 25kms. Comme souvent en Chine, les bords des routes n’ont pas beaucoup de protections – même s’il y a un à-pic derrière – c’est un peu flippant ! Et régulièrement aussi, on voit des carcasses de voitures ou de camions en contrebas.

Plus de 100kms de gorges…

Après cette belle descente, on arrive le midi à Benzilan. On quitte le Yunnan et on entre dans le Sichuan. On longe la rivière Singmai, avec ses montagnes tout autour, ses paysages secs et plutôt hostiles, sa route qui régulièrement comporte des zones de cailloux. Après plusieurs jours de grisaille, le soleil est de retour. Camion et bus nous dépassent toujours dans un concert de klaxons qui nous agacent… Heureusement qu’ils ne sont pas trop nombreux.
Pour le campement du soir, les habitants du village de Guxue (2900m d’altitude) ne sont pas des plus aidants… Et vu qu’on est dans des gorges, pas de zone plate pour camper aux alentours. On demande finalement au poste de police, qui accepte sans problème ! (En fait, ce sont plutôt des logements de fonction, et il n’y a pas grand monde) On est comme au camping : petite pelouse à l’abri du vent, douche chaude, corde à linge pour faire sécher la lessive. Et pour le dîner, nous voilà invités par les ouvriers qui dorment dans des préfabriqués en face du poste de police. Que demander de mieux ?!

Notre route continue le lendemain dans les gorges aux versants arides ; au détour d’un virage apparaissent par endroit des petits oasis : les villages sont très verts, de belles maisons de style tibétain entourées de champs de blé. Les frontières du Tibet arrivaient autrefois jusqu’ici, et ça se sent ! Les grosses maisons blanches cubiques, avec de belles peintures, les drapeaux de prière… On se croirait dans un film… mais non c’est bien la réalité qu’on a sous les yeux ! Un peu partout des yaks, des cochons et des ânes se promènent sur les routes et les flans de collines.

Après 65 kms, il est 16h30 quand on s’arrête pour une pause. On a beau avoir longé des rivières, ça a bien grimpé aujourd’hui ! Les jambes fatiguent. Le hasard nous envoi un monsieur qui nous propose de dormir chez lui, pour 30¥ (4,50€) pour 4, repas compris. Il habite dans une de ces grandes maisons traditionnelles. C’est génial de pouvoir en visiter une !
Le rez-de-chaussez est occupé par les yaks et les cochons.
Au premier étage :
– une chambre où dort la famille ;
– un grand salon peint de haut en bas avec des couleurs pétantes, où on passera la soirée au coin du poêle à discuter comme on peut avec nos hôtes et jouer avec les enfants, et où on dormira ;
– une mini cuisine et une mini salle de bain (mais ouf ! Ils ont l’eau chaude !).
A l’étage supérieur, une terrasse, couverte chez eux par des bâches car ils hébergent 16 ouvriers du réseau électrique chinois qui font des travaux dans la région. Du coup quand tous les ouvriers rentrent du boulot, on est un peu l’attraction du jour !

Notre hôte est toute la soirée trop aux petits soins avec nous, nous répète « Péngyǒu » (ami). Au matin, petit-déjeuner de champion : après notre traditionnelle potée « flocons d’avoine-bananes », ils nous offrent du thé au beurre de lait de yak et de la tsampa.

Nous avons été très touchés de l’accueil que nous avons reçu ; vivre un moment au sein de cette famille tibétaine fût une très belle expérience.

La compteur du vélo indique -1° (c’est là qu’on se souvient où dorment les ouvriers…). Heureusement, la température remonte avec l’apparition du soleil.
Sur la route, on passe devant un grand monastère bouddhiste qu’on s’arrête visiter. On se joint aux villageois qui en font le tour (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, attention !) en faisant tourner les moulins à prière ; puis on passe un peu de temps à observer et échanger avec tous ces gens qui sont réunis ici comme sur la place centrale d’un village.
Nous sommes juste avant un col que nous atteignons rapidement : 3500m, le premier et le plus petit de la série des 3 cols qu’on doit passer pour arriver à Xiangcheng. La descente est splendide, tout en lacets sur la montagne. On retrouve en contrebas une rivière au bord de laquelle, un peu plus loin, on décide de s’arrêter tôt dans l’après midi. Profitant de ce temps libre, les garçons partent pêcher avec le matériel de Jérémie. Trop content le Thomas ! Ils ont pêché 6 poissons, mais trop petits pour être mangés (en même temps, vu la pollution de la nature et en particulier des rivières, pas sûrs qu’ils auraient été très bon…)
Et pour couronner le tout, on cuisine un bon repas, et en dessert… des crêpes ! Miam !

Aller plus haut… encore plus haut !

Mercredi 8 avril : 2 cols nous attendent aujourd’hui. La route est relativement bitumée sauf par endroit, où sur une cinquantaine de mètres, elle se transforme en un mélange de cailloux et de terre. Le premier col se passe plutôt bien, on discute, on avance sans trop s’en rendre compte. À 12h30, on a fait 900m de dénivelés positifs sur 17kms : nous sommes à 3800m ! On bat le record !
On redescend au village de Reda où on a la bonne surprise de trouver un restaurant. Chouette, on s’attendait à devoir encore manger des nouilles chinoises en sachet !
Pour le 2ème col, ma motivation est très moyenne. Les paysages deviennent un peu redondant, il fait froid, il y a du vent, et on a encore 800m de dénivelés positifs sur 19kms. Emilie et Jérémie partent devant, Thomas reste à côté. J’avance tant que je peux. Les paysages deviennent plus jolis à mesure que l’on monte, mais ce sont les jambes qui fatiguent. Au loin, il y a de la pluie – va t elle arriver sur nous ? Fatigue, tension… le moral est dans les chaussettes et les voix s’élèvent. 4 kms avant l’arrivée, 4020m d’altitude, Thomas accroche un tendeur entre son vélo et le mien… ouf, ça va mieux, on arrive au bout : 4150m d’altitude !! Au final on bat 2 fois notre record dans la journée ! Et à part le froid (3°) et le vent, aucun souci avec l’altitude. Il faut dire qu’on vit dans les environs des 3000m depuis plusieurs jours !
Au sommet, c’est très beau avec des centaines de drapeaux à prière, une vue impressionnante sur les chaînes de montagnes en face. Nos efforts sont récompensés par une descente de 25kms en serpents le long de cette montagne et avec toujours cette belle vue.

On arrive à Xiangcheng avec le coucher de soleil, pour un jour de repos bien mérité ! Pendant cette journée, on va au poste de police se renseigner pour le renouvellement des visas : pas possible ici, mais venez, on vous invite à déjeuner ! Ils sont cool les flics ici !

Une journée à rallonge…

Le lendemain, 5h30, nous voilà devant le bus qui doit nous emmener à Kangding, la capitale du comté, où l’on pourra renouveler nos visas ; 12h de bus nous attendent. On arrive à faire entrer les 4 vélos et 19 sacoches dans les soutes, et à 6h15, en route !

On passe un premier col à 4700m d’altitude, puis les hauts plateaux et les petits cols se succèdent ; on reste toujours dans les environs des 4000m d’altitude. Les paysages sont arrides, de grands troupeaux de yaks peinent à trouver de quoi brouter : les rivières sont en partie gelées. Ces paysages sont très impressionnants ; vu le froid et les dénivelés, on est contents de ne pas avoir essayé de passer ici en vélo.
Après la ville de Litang, on croise des dizaines de cyclos chinois qui vont à Lhassa. Faire cette route à vélo semble être un pèlerinage pour les cyclos chinois, comme le sont les chemins de Compostelle pour les randonneurs en Europe.
Peu à peu, la neige pointe son nez. Après une pause déjeuner, on passe un col à 4400m d’altitude sur une route complètement défoncée, du goudron plein de trous et de boue ; le tout bien sûr sur une petite route de montagne tout juste assez large pour que se croisent deux bus. Sympa !
Il est 16h45 quand on arrive au dernier col, à 45kms de notre destination. La neige qui tombe à nouveau redouble d’intensité et un embouteillage nous arrête ; nous sommes à 4000m d’altitude. Le chauffeur descend mettre les chaînes ; on fait 100m, et on s’arrête à nouveau. On voit qu’au loin les voitures semblent ne pas monter au col, ou au compte-goutte très lent. Notre bus se prend un coup de nerf et fait 200m sur la file de gauche en doublant tout le monde, la main branchée sur le klaxon ; régulièrement des voitures font la même chose… Hum, très intelligent…
La nuit commence à tomber, on n’a pas beaucoup avancé. Et avec la nuit, le froid arrive aussi : on va chercher duvets et grosses chaussettes dans nos sacoches ; au moins nous sommes équipés pour le froid, contrairement aux autres gens. Heureusement, le chauffeur est sympa et rallume régulièrement le moteur pour mettre un coup de chauffage. On ne sait pas trop pourquoi ça bloque. Est-ce juste la route gelée ou y a-t-il une autre raison ? Et vu que les chinois ont un niveau en anglais proche de zéro, impossible d’avoir plus d’informations. Alors on patiente sagement (ou presque !) tous les quatre.

Bref, il est 20h50 quand tout d’un coup la file de voiture et de camions s’ébranle et commence à avancer doucement sur cette route gelée. Deux heures plus tard, on en dans la gare routière de Kangding… Sous la pluie, on fini par trouver un hôtel correct pour passer la nuit. Ouf, ça y est, au dodo ! Mais finalement, le voyage à vélo – et les galères que ça entraine parfois – fait bien relativiser ce genre de difficultés : on était au sec et relativement au chaud, on avait de l’espace pour bouger, une bonne provision de petits gâteaux,… Ça a été long, mais pas si inconfortable que ça !

 

Pour la suite du programme, c’est encore flou, mais probablement que nos vélos vont être un peu mis de côté. Nous restons ici à Kangding quelques jours le temps de faire la prolongation de notre visa chinois (oui, ça va déjà faire un mois que nous y sommes !). Ensuite direction Chendgu, en transports en commun. Notre objectif est de rejoindre Pékin en train, on essaiera alors d’y associer peut-être une petite partie en vélo, mais c’est pas sûr.

En tout cas, la Chine, c’est vraiment un pays énorme, et c’est frustrant de ne pas pouvoir en faire plus en vélo !